Rencontrer sa Côte-Nord / Chapitre 1

À travers l’aventure et l’exploration, le Baie-Comois David Béland partage une série de récits photographiques d’un territoire qu’il affectionne, exprimant un hommage à la richesse de la Boréalie nord-côtière. Une invitation à vivre sa région autrement.

 

L’arrière-pays

Direction franc nord, sur la sinueuse route menant au-delà du 51ième parallèle, à destination d’un massif montagneux encore méconnu et éternellement enneigé : les Monts Uapishka (Groulx). 

Au pied des montagnes, on s’enfonce au rythme de nos pas à travers les longs lichens verts suspendus aux branches d’une mer d’épinettes noires. De grands élancés, aussi gros de la tête au pied, sont le témoignage d’une harmonie et de la lente croissance en ce milieu nordique. En l’espace de quelques kilomètres, un tapis vierge d’un blanc immaculé, éclatant, saupoudré de petites épinettes se déroule à nos pieds. Elles, rabougries, la tête tordue, racontent rigueur et hostilité. L’étendue des plateaux où sillonnent et s’enchainent multiples vallées ne peut que nourrir l’imaginaire. Un étonnant espace ouvert qui s’étend à l’horizon, supporté par un silence. Un silence résonnant de solitude, rafraichissant.  

À grandes bouffées d’air froid, tracer son propre chemin à travers ces plateaux inspire une liberté dont on a peu l’habitude. Une impression de temps suspendu, un univers parallèle. En côtoyant fréquemment la forêt d’ici, on y découvre ses cycles, ses énergies. D’une forêt riche et abondante en été, on y trouve en hiver un lieu en dormance, au ralenti, en survie. C’est ce temps suspendu. Loin derrière mes compagnons, je contemple leurs minuscules silhouettes s’éloigner dans cette infinité. 

Étonnante température de contrastes, l’absence de veste nous fait presqu'oublier l’hiver jusqu’à ce que le chaud soleil traverse la cime des montagnes. Encastrés dans les vallées entre les montagnes blanches, les ombres tirées par le crépuscule nous cloîtrent dans une nouvelle ambiance, celle d’un froid vif, cinglant. En l’instant de quelques minutes, la température chute d’une dizaine de degrés. 

Il y a une grande différence entre préparer son campement entre le milieu et la fin de l’après-midi. Le plaisir n’est pas le même! Plus on s’y met tard, plus on s’empresse de tout faire, de moins bien faire, avec comme compagnon un froid de plus en plus insistant. Nous compactons la neige, installons nos campements, creusons nos vestibules et érigeons de petits murets autour des tentes pour se couper du vent. Les extrémités qui fourmillent, il est temps de mettre des vêtements secs, de chauffer l’eau, de prendre un repas et de se blottir dans le sac de couchage jusqu’aux prochains rayons de soleil… Sauf si l’on ose attendre avant de s’y plonger.

L’audace en vaut le spectacle. Les bleus s’approfondissent, déroulant avec eux la ceinture de Vénus d’un rose bonbon qui se dissipe dans la profondeur du ciel. Du haut d’une montagne, j’observe nos tentes s’endormir dans le creux de la nuit. Les unes après les autres, les étoiles s’illuminent. Au-dessus de moi s’étend un ciel de diamants. Et si la chance y est, c’est le regard portant vers le nord que valseront les esprits, ceux qui veillent sur la Boréalie. 

Je me plonge dans le confort de mon duvet, bien au chaud. Les yeux fermés, le corps détendu, calme. Durant quelques instants, mon cœur s’évade, vagabonde, ailleurs.

Je suis dans l’arrière-pays.

Au bout du monde. 

Chez moi, sur la Côte-Nord.

 

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Lieux : 

Les Monts Uapishka

Activité :

Traversée des Monts Uapishka (Groulx) dans l’axe Nord-Sud,

Randonnée en raquette, camping d’hiver

Distance :

50 kilomètres

Durée:

5 jours, 4 nuits

Période :

Janvier à Avril

Niveau de difficulté :

Difficile

Note de l’auteur :

Les Monts Uapishka s’étendent sur plusieurs centaines de kilomètres. L’isolement, la météo hostile, l’absence de communication et de balises est à prendre au sérieux. En été comme en hiver, il est nécessaire d’avoir les compétences et l’expérience pour s’aventurer sur ce territoire. Avant de partir, pensez à bien vous renseigner.   ______________________________________________________

    

David Béland, collaborateur spécial

Photographe d'aventure depuis plusieurs années, David  a capté des images révélant la beauté de certains endroits les plus hostiles du globe. Grand randonneur affirmé, mordu d'aventures et d'expériences, il n'hésite pas à parcourir des centaines de kilomètres en autonomie équipé de sa caméra. Cette quête de paysages saisissants s'accompagne inévitablement de défis à la fois physiques et mentaux qui, au fil du temps, ont forgé sa ténacité et sa capacité à repousser ses propres limites.